mercredi 6 mai 2015

BAUDELAIRE
(suggestion de textes)

(Le vrai héros s'amuse tout seul.)


tels les vampires, « gens à tête de mort dont le principal
est M. Baudelaire, personnage plein d’un froid calcul,
qui emploie les niaiseries du mystère et de l’horreur
pour étonner son public (…) »
(Edmond Duranty, Le Figaro, 13 novembre 1856)


Tout se passe comme si Baudelaire avait mis son théâtre partout,
sauf précisément dans ses projets de théâtre
(Roland Barthes, Le théâtre de Baudelaire)

...ce qu'il y a de spécifiquement français chez lui: la rogne. Elle voit en lui le révolté...maniaque, révolté contre sa propre impuissance, et qui le sait...Les lecteurs de B. sont des hommes. Les femmes ne l'aiment pas. Pour les hommes, il décrit et transcende le côté ordurier de leur vie pulsionnelle. Si l'on va plus loin, vu sous cet éclairage, la passion de B. est pour nombre de ses lecteurs le rachat de certains aspects de leur vie hormique.
(Walter Benjamin)






PETITS POÈMES EN PROSE

LE CHIEN ET LE FLACON

     « – Mon beau chien, mon bon chien, mon cher toutou, approchez et venez respirer un excellent parfum acheté chez le meilleur parfumeur de la ville. » 
     Et le chien, en frétillant de la queue, ce qui est, je crois, chez ces pauvres êtres, le signe correspondant du rire et du sourire, s'approche et pose curieusement son nez humide sur le flacon débouché ; puis reculant soudainement avec effroi, il aboie contre moi, en manière de reproche. 
     « – Ah! misérable chien, si je vous avais offert un paquet d'excréments, vous l'auriez flairé avec délices et peut-être dévoré. Ainsi, vous-même, indigne compagnon de ma triste vie, vous ressemblez au public, à qui il ne faut jamais présenter des parfums délicats qui l'exaspèrent, mais des ordures soigneusement choisies. »

LE FOU ET LA VÉNUS

   Quelle admirable journée! Le vaste parc se pâme sous l'œil brûlant du soleil, comme la jeunesse sous la domination de l'Amour.
   L'extase universelle des choses ne s'exprime par aucun bruit; les eaux elles-mêmes sont comme endormies. Bien différente des fêtes humaines, c'est ici une orgie silencieuse.
   On dirait qu'une lumière toujours croissante fait de plus en plus étinceler les objets; que les fleurs excitées brûlent du désir de rivaliser avec l'azur du ciel par l'énergie de leurs couleurs, et que la chaleur, rendant visibles les parfums, les fait monter vers l'astre comme des fumées.
   Cependant, dans cette jouissance universelle, j'ai aperçu un être affligé.
   Aux pieds d'une colossale Vénus, un de ces fous artificiels, un de ces bouffons volontaires chargés de faire rire les rois quand le Remords ou l'Ennui les obsède, affublé d'un costume éclatant et ridicule, coiffé de cornes et de sonnettes, tout ramassé contre le piédestal, lève des yeux pleins de larmes vers l'immortelle Déesse.
   Et ses yeux disent: - "Je suis le dernier et le plus solitaire des humains, privé d'amour et d'amitié, et bien inférieur en cela au plus imparfait des animaux.
   Cependant je suis fait, moi aussi, pour comprendre et sentir l'immortelle Beauté! Ah! Déesse! ayez pitié de ma tristesse et de mon délire!"
   Mais l'implacable Vénus regarde au loin je ne sais quoi avec ses yeux de marbre.


À UNE HEURE DU MATIN

Enfin ! seul ! On n’entend plus que le roulement de quelques fiacres attardés et éreintés. Pendant quelques heures, nous posséderons le silence, sinon le repos. Enfin ! la tyrannie de la face humaine a disparu, et je ne souffrirai plus que par moi-même.
Enfin ! il m’est donc permis de me délasser dans un bain de ténèbres ! D’abord, un double tour à la serrure. Il me semble que ce tour de clef augmentera ma solitude et fortifiera les barricades qui me séparent actuellement du monde.
Horrible vie ! Horrible ville ! Récapitulons la journée : avoir vu plusieurs hommes de lettres, dont l’un m’a demandé si l’on pouvait aller en Russie par voie de terre (il prenait sans doute la Russie pour une île) ; avoir disputé généreusement contre le directeur d’une revue, qui à chaque objection répondait : « — C’est ici le parti des honnêtes gens, » ce qui implique que tous les autres journaux sont rédigés par des coquins ; avoir salué une vingtaine de personnes, dont quinze me sont inconnues ; avoir distribué des poignées de main dans la même proportion, et cela sans avoir pris la précaution d’acheter des gants ; être monté pour tuer le temps, pendant une averse, chez une sauteuse qui m’a prié de lui dessiner un costume de Vénustre ; avoir fait ma cour à un directeur de théâtre, qui m’a dit en me congédiant : « — Vous feriez peut-être bien de vous adresser à Z… ; c’est le plus lourd, le plus sot et le plus célèbre de tous mes auteurs, avec lui vous pourriez peut-être aboutir à quelque chose. Voyez-le, et puis nous verrons ; » m’être vanté (pourquoi ?) de plusieurs vilaines actions que je n’ai jamais commises, et avoir lâc
hement nié quelques autres méfaits que j’ai accomplis avec joie, délit de fanfaronnade, crime de respect humain ; avoir refusé à un ami un service facile, et donné une recommandation écrite à un parfait drôle ; ouf ! Est-ce bien fini ?
Mécontent de tous et mécontent de moi, je voudrais bien me racheter et m’enorgueillir un peu dans le silence et la solitude de la nuit. Âmes de ceux que j’ai aimés, âmes de ceux que j’ai chantés, fortifiez-moi, soutenez-moi, éloignez de moi le mensonge et les vapeurs corruptrices du monde, et vous, Seigneur mon Dieu ! accordez-moi la grâce de produire quelques beaux vers qui me prouvent à moi-même que je ne suis pas le dernier des hommes, que je ne suis pas inférieur à ceux que je méprise !


CARNETS

Dettes et dépenses :


Mont de Piété 50
Garçons 190
Souliers 15
Arnaud 5
Belle Poule 10
La Rochefoucauld 5
Caisses 20
Sac de nuit 20
______
Cladel 10
Martin 50
Malassis 60
Poupart 50
Coussinet 80
_____
Chapelier 20
Ducreux 105
Porée 117
Dinochau 260
Pharmacien
Guys 90
Duranty 20
Lejosne 20
Peters 50
Villiers 200
Noriac 200
_____
Être le plus grand des hommes. Se dire cela à chaque instant.
_____
Café de Bruxelles
Café de la Rue
St Lazare
Encadreur
Mme Audin
Relieur
_____
Petit :


Sébastopol 101
Souliers 15
Chapelier 20
Blanchisseuse 10
Copiste 5
Encadreur 40
Relieur 5
Mont de Piété 50
Cafés 20
Ducreux 50
Martin 50
Cousinet 80
Poupart 50
Garçons 100
_____
Avoir de la matière, c'est avoir de l'argent.
______
Avoir 108 000 Fr. le
9 juillet
5 août – 15 août
_____
Écrire à ma mère mes excuses
mon échéance
chemin de fer
Trianon
Joubert
Écrire à Hetzel
à Dentu
à Asselineau
à ma Sœur
_____
Poèmes 80
Villemain 30
Eureka 30
Dandies 30
Peintres 30
_____
Total 200

(…)


VILAINES CANAILLES

Forget
Denneval
Lortic
Hachette
Calonne
Crépet
Martinet
Turgan
Dalloz
Bodoz
Cohen
Solar
Meurice
Vacquerie
Ch. Hugo
Pervillé



CORRESPONDANCE

Lettre à Appolonie Sabatier (1)

La personne pour qui ces vers ont été faits, qu’ils lui plaisent ou qu’ils lui déplaisent, quand même ils lui paraîtraient tout à fait ridicules, est bien humblement suppliée de ne les montrer à personne. Les sentiments profonds ont une pudeur qui ne veut pas être violée. L’absence de signature n’est-elle pas un symptôme de cette invincible pudeur ? Celui qui a fait ces vers, dans un de ces états de rêverie où le jette souvent l’image de celle qui en est l’objet l’a bien vivement aimée, sans jamais le lui dire, et conservera toujours pour elle la plus tendre sympathie.


À Celle qui est trop gaie
Ta tête, ton geste, ton air
Sont beaux comme un beau paysage;
Le rire joue en ton visage
Comme un vent frais dans un ciel clair.

Le passant chagrin que tu frôles
Est ébloui par la santé
Qui jaillit comme une clarté
De tes bras et de tes épaules.

Les retentissantes couleurs
Dont tu parsèmes tes toilettes
Jettent dans l'esprit des poètes
L'image d'un ballet de fleurs.

Ces robes folles sont l'emblème
De ton esprit bariolé;
Folle dont je suis affolé,
Je te hais autant que je t'aime!

Quelquefois dans un beau jardin
Où je traînais mon atonie,
J'ai senti, comme une ironie,
Le soleil déchirer mon sein,

Et le printemps et la verdure 
Ont tant humilié mon coeur,
 
Que j'ai puni sur une fleur
 
L'insolence de la Nature.

Ainsi je voudrais, une nuit,
Quand l'heure des voluptés sonne,
Vers les trésors de ta personne,
Comme un lâche, ramper sans bruit,

Pour châtier ta chair joyeuse,
Pour meurtrir ton sein pardonné,
Et faire à ton flanc étonné
Une blessure large et creuse,

Et, vertigineuse douceur! 
À travers ces lèvres nouvelles,
 
Plus éclatantes et plus belles,
 
T'infuser mon venin, ma soeur!


Lettre à Appolonie Sabatier (2)

J’ai détruit ce torrent d’enfantillages amassé sur ma table. Je ne l’ai pas trouvé assez grave pour vous, chère bien aimée. Je reprends vos deux lettres, et j’y fais une nouvelle réponse. Il me faut, pour cela, un peu de courage ; car j’ai abominablement mal aux nerfs, à en crier, et je me suis réveillé avec l’inexplicable malaise moral que j’ai emporté hier soir de chez vous.
manque absolu de pudeur.
C’est pour cela que tu m’es encore plus chère.
il me semble que je suis à toi depuis le premier jour où je t’ai vu. Tu en feras ce que tu voudras, mais je suis à toi, de corps, d’esprit et de cœur.
Je t’engage à bien cacher cette lettre, malheureuse ! — Sais-tu réellement ce que tu dis ? Il y a des gens pour mettre en prison ceux qui ne paient pas leurs lettres de change, mais les serments de l’amitié et de l’amour, personne n’en punit la violation.
Aussi je t’ai dit hier : Vous m’oublierez, vous me trahirez ; celui qui vous amuse vous ennuiera. — Et j’ajoute aujourd’hui : Celui-là seul souffrira qui, comme un imbécile, prend au sérieux les choses de l’âme. — Vous voyez, ma bien belle chérie, que j’ai d'odieux préjugés à l’endroit des femmes. — Bref, je n’ai pas la foi. — Vous avez l’âme belle, mais en somme c’est une âme féminine.
Voyez comme en peu de jours notre situation a été bouleversée. D’abord, nous sommes tous les deux possédés de la peur d’affliger un honnête homme qui a le bonheur d’être toujours amoureux. Ensuite, nous avons peur de notre propre orage, parce que nous savons (moi surtout) qu’il y a des nœuds difficiles à délier.
Et enfin, enfin, il y a quelques jours, tu étais une divinité, ce qui est si commode, ce qui est si beau, si inviolable. Te voilà femme, maintenant. —Et si, par malheur pour moi, j’acquiers le droit d’être jaloux ! ah ! quelle horreur seulement d’y penser ! mais, avec une personne telle que vous, dont les yeux sont pleins de sourires et de grâces pour tout le monde, on doit souffrir le martyre.
La seconde lettre porte un cachet d’une solennité qui me plairait, si j’étais bien sûr que vous la comprenez. Never meet or never part ! Cela veut dire positivement qu’il vaudrait bien mieux ne s’être jamais connu, mais que quand on s’est connu on ne doit pas se quitter. Sur une lettre d’adieux, ce cachet serait très plaisant.
Enfin, arrive ce que pourra. Je suis un peu fataliste. Mais ce que je sais bien, c’est que j’ai horreur de la passion, — parce que je la connais, avec toutes ses ignominies ; — et voilà que l’image bien aimée qui dominait toutes les aventures de la vie devient trop séduisante.
Je n’ose pas trop relire cette lettre ; je serais peut-être obligé de la modifier, car je crains bien de vous affliger ; il me semble que j’ai du laisser percer quelque chose de la vilaine partie de mon caractère.
Il me paraît impossible de vous faire aller ainsi dans cette sale rue J.-J.-Rousseau. Car j’ai bien d’autres choses à vous dire. Il faut donc que vous m’écriviez pour m’indiquer un moyen.
Quant à notre petit projet, s’il devient possible, avertissez-moi quelques jours d’avance.
Adieu, chère bien aimée ; je vous en veux un peu d’être trop charmante. Songez donc que, quand j’emporte le parfum de vos bras et de vos cheveux, j’emporte aussi le désir d’y revenir. Et alors quelle insupportable obsession !
Décidément, je porte ceci moi-même rue J.-J.-Rousseau, dans la crainte que vous n’y alliez aujourd’hui. — Cela y sera plus tôt.




Lettre à sa mère




Le 6 mai 1861
Ma chère mère,
Si tu possèdes vraiment le génie maternel et si tu n'es pas encore lasse, viens à Paris, viens me voir, et même me chercher. Moi, pour mille raisons terribles, je ne puis pas aller à Honfleur chercher ce que je voudrais tant, un peu de courage et de caresses. À la fin de mars, je t'écrivais : Nous reverrons-nous jamais ! J'étais dans une de ces crises où on voit la terrible vérité. Je donnerais je ne sais quoi pour passer quelques jours auprès de toi, toi, le seul être à qui ma vie est suspendue, huit jours, trois jours, quelques heures. […]
Toutes les fois que je prends la plume pour t'exposer ma situation, j'ai peur ; j'ai peur de te tuer, de détruire ton faible corps. Et moi, je suis sans cesse, sans que tu t'en doutes, au bord du suicide. Je crois que tu m'aimes passionnément ; avec un esprit aveugle, tu as le caractère si grand ! Moi, je t'ai aimée passionnément dans mon enfance ; plus tard, sous la pression de tes injustices, je t'ai manqué de respect, comme si une injustice maternelle pouvait autoriser un manque de respect filial ; je m'en suis repenti souvent, quoique, selon mon habitude, je n'en aie rien dit. Je ne suis plus l'enfant ingrat et violent. De longues méditations sur ma destinée et sur ton caractère m'ont aidé à comprendre toutes mes fautes et toute ta générosité. Mais, en somme le mal est fait, fait par tes imprudences et par mes fautes. Nous sommes évidemment destinés à nous aimer, à vivre l'un pour l'autre, à finir notre vie le plus honnêtement et le plus doucement qu'il sera possible. Et cependant, dans les circonstances terribles où je suis placé, je suis convaincu que l'un de nous deux tuera l'autre, et que finalement nous nous tuerons réciproquement. Après ma mort, tu ne vivras plus, c'est clair. Je suis le seul objet qui te fasse vivre. Après ta mort, surtout si tu mourais par une secousse causée par moi, je me tuerais, cela est indubitable. Ta mort, dont tu parles souvent avec trop de résignation, ne corrigerait rien dans ma situation ; le conseil judiciaire serait maintenu (pourquoi ne le serait-il pas ?), rien ne serait payé, et j'aurais par surcroît de douleurs, l'horrible sensation d'un isolement absolu. Moi, me tuer, c'est absurde n'est-ce pas ? […]
Adieu, je suis exténué. Pour rentrer dans les détails de santé, je n'ai ni dormi, ni mangé depuis presque trois jours ; ma gorge est serrée. – Et il faut travailler.
Non, je ne te dis pas adieu ; car j'espère te revoir.
Oh ! lis-moi bien attentivement, tâche de bien comprendre.
Je sais que cette lettre t'affectera douloureusement, mais tu y trouveras certainement un accent de douceur, de tendresse, et même encore d'espérance, que tu as trop rarement entendus
Et je t'aime.




LES PARADIS ARTIFICIELS

« Un homme très célèbre, qui était en même temps un grand sot, choses qui vont très bien ensemble, à ce qu'il paraît, ainsi que j'aurai plus d'une fois sans doute le douloureux plaisir de le démontrer, a osé, dans un livre sur la Table, composé au double point de vue de l'hygiène et du plaisir, écrire ce qui suit à l'article VIN : «  Le patriarche Noé passe pour être l'inventeur du vin ; c'est une liqueur qui se fait avec le fruit de la vigne. »
Et après ? Après, rien : c'est tout. Vous aurez beau feuilleter le volume, le retourner dans tous les sens, le lire à rebours, à l'envers, de droite à gauche et de gauche à droite, vous ne trouverez pas autre chose sur le vin dans la Physiologie du goût du très illustre et très respecté Brillat-Savarin : «  Le patriarche Noé... » et «  c'est une liqueur... ».

....

Profondes joies du vin, qui ne vous a connues ? Quiconque a eu un remords à apaiser, un souvenir à évoquer, une douleur à noyer, un château en Espagne à bâtir, tous enfin vous ont invoqué, dieu mystérieux caché dans les fibres de la vigne. Qu'ils sont grands les spectacles du vin, illuminés par le soleil intérieur ! Qu'elle est vraie et brûlante cette seconde jeunesse que l'homme puise en lui ! Mais combien sont redoutables aussi ses voluptés foudroyantes et ses enchantements énervants. Et cependant dites, en votre âme et conscience, juges, législateurs, hommes du monde, vous tous que le bonheur rend doux, à qui la fortune rend la vertu et la santé faciles, dites, qui de vous aura le courage impitoyable de condamner l'homme qui boit du génie ? »

« D'ailleurs le vin n'est pas toujours ce terrible lutteur sûr de sa victoire, et ayant juré de n'avoir ni pitié ni merci. Le vin est semblable à l'homme : on ne saura jamais jusqu'à quel point on peut l'estimer et le mépriser, l'aimer et le haïr, ni de combien d'actions sublimes ou de forfaits monstrueux il est capable. Ne soyons donc pas plus cruels envers lui qu'envers nous-mêmes, et traitons-le comme notre égal. »

« Entends-tu s’agiter en moi et résonner les puissants refrains des temps anciens, les chants de l’amour et de la gloire ? Je suis l’âme de la patrie, je suis moitié galant, moitié militaire. Je suis l’espoir des dimanches. Le travail fait les jours prospères, le vin fait les dimanches heureux. Les coudes sur la table de famille et les manches retroussées, tu me glorifieras fièrement, et tu seras vraiment content.
« J’allumerai les yeux de ta vieille femme, la vieille compagne de tes chagrins journaliers et de tes plus vieilles espérances. J’attendrirai son regard et je mettrai au fond de sa prunelle l’éclair de sa jeunesse. Et ton cher petit, tout pâlot, ce pauvre petit ânon attelé à la même fatigue que le limonier, je lui rendrai les belles couleurs de son berceau, et je serai pour ce nouvel athlète de la vie l’huile qui raffermissait les muscles les anciens lutteurs.
« Je tomberai au fond de ta poitrine comme une ambroisie végétale. Je serai le grain qui fertilise le sillon douloureusement creusé. Notre intime réunion créera la poésie. À nous deux nous ferons un Dieu, et nous voltigerons vers l’infini, comme les oiseaux, les papillons, les fils de la Vierge, les parfums et toutes les choses ailées. »
Voilà ce que chante le vin dans son langage mystérieux. Malheur à celui dont le cœur égoïste et fermé aux douleurs de ses frères n'a jamais entendu cette chanson ! »

« Il y a des ivrognes méchants ; ce sont des gens naturellement méchants. L'homme mauvais devient exécrable, comme le bon devient excellent. »

(…)

Je termine (…) par quelques belles paroles qui ne sont pas de moi, mais d’un remarquable philosophe peu connu, (…), théoricien musical, et professeur au Conservatoire. J’étais auprès de lui dans une société dont quelques personnes avaient pris du bienheureux poison, et il me dit avec un accent de mépris indicible : « Je ne comprends pas pourquoi l’homme rationnel et spirituel se sert de moyens artificiels pour arriver à la béatitude poétique, puisque l’enthousiasme et la volonté suffisent pour l’élever à une existence supra-naturelle. Les grands poètes, les philosophes, les prophètes sont des êtres qui, par le pur et libre exercice de la volonté, parviennent à un état où ils sont à la fois cause et effet, sujet et objet, magnétiseur et somnambule. »
Je pense exactement comme lui.





FUSÉES

Quant à moi, qui sens quelquefois en moi le ridicule d’un prophète, je sais que je n’y trouverai jamais la charité d’un médecin. Perdu dans ce vilain monde, coudoyé par les foules, je suis comme un homme lassé dont l’oeil ne voit en arrière, dans les années profondes, que désabusement et amertume, et, devant lui, qu’un orage où rien de neuf n’est contenu, ni enseignement ni douleur. Le soir où cet homme a volé à la destinée quelques heures de plaisir, bercé dans sa digestion, oublieux — autant que possible — du passé, content du présent et résigné à l’avenir, enivré de son sang-froid et de son dandysme, fier de n’être pas aussi bas que ceux qui passent, il se dit, en contemplant la fumée de son cigare : «Que m’importe où vont ces consciences?»
Je crois que j’ai dérivé dans ce que les gens du métier appellent un hors-d’œuvre. Cependant, je laisserai ces pages, — parce que je veux dater ma colère. (ma tristesse)

DIVERS

Le chat est un vampire sucré.

Suggestions. — Pourquoi les démocrates n’aiment pas les chats, il est facile de le deviner. Le chat est beau; il révèle des idées de luxe, de propreté, de volupté, etc…

NON…..NON…….crénom…..NON…..crénom….NON….NON

J’ai pétri de la boue et j’en ai fait de l’or.

La Musique creuse le ciel.

Créer un poncif, c'est le génie.
Je dois créer un poncif.


Le goût précoce des femmes. Je confondais l’odeur de la fourrure avec l’odeur de la femme. Je me souviens... Enfin j’aimais ma mère pour son élégance. J’étais donc un dandy précoce.



Le Dandy doit aspirer à être sublime sans interruption ; il doit vivre et dormir devant un miroir.

Le dandysme est un soleil couchant; comme l’astre qui décline, il est superbe, sans chaleur et plein de mélancolie (…) Le caractère de beauté du dandy consiste surtout dans l’air froid qui vient de l’inébranlable résolution de ne pas être ému; on dirait un feu latent qui se fait deviner, qui pourrait mais ne veut pas rayonner.

Ne suis-je pas un faux accord
Dans la divine symphonie,
Grâce à la vorace Ironie
Qui me secoue et qui me mord ?



Il serait peut-être doux d'être alternativement victime et bourreau.


Le vrai héros s'amuse tout seul.